FROMAGE D’AUVERGNE
Dans la revue Cantal patrimoine Pierre Moulier revient sur la fabrication du fromage Cantal autrefois souvent décriée pour sa mauvaise qualité et sa fabrication douteuse.
Si les techniques modernes permettent un contrôle de la fabrication satisfaisant du fromage, il n’en allait pas de même autrefois, et le cantal ne se vendait pas aussi bien qu’on l’aurait voulu, principalement à cause de difficultés de conservation.
On s’avisa de ce problème dans les années 1730, qui virent échouer une première fois la tentative de faire un fromage plus apte à voyager et à se vendre. Fut alors incriminée, d’abord, la taille de la fourme, qui implique un fort salage pour la faire « tenir » et sans cela provoque le pourrissement du cœur de meule. Les marchands de Paris ne voulaient pas du cantal, comme l’explique le contrôleur général Orry : « Les raisons de leur éloignement sont : la mauvaise odeur et le mauvais goût que [le cantal] contracte, pour peu qu’il soit gardé ; que ceux qui les font, n’ayant pas l’attention de passer [filtrer] leur lait, on y trouve souvent des pierres, du bois et des ordures infiniment dégoûtantes, d’où il résulte des déchets considérables, si on les garde ; de plus, il est fabriqué de telle façon qu’il ne peut pas soutenir la chaleur sans se gâter ».
On essaya alors d’élaborer un genre de gruyère, on fit venir des Suisses, mais ce fut l’échec : à quantité égale de lait mise en œuvre, la quantité de gruyère était moindre que de cantal. D’autre part, les buronniers du pays refusaient l’aventure, faisant valoir qu’ils préféraient le goût et l’odeur de leur fourme. En réalité ils défendaient avec raison leur savoir-faire et leur gagne-pain ! À nouveau on fit l’expérience du gruyère en 1826, qui se solda par un nouvel échec, et l’on renonça à cette lubie.
Le problème de l’hygiène n’était peut-être pas la première cause dans la fragilité du fromage, mais il resta prégnant. Une image la résume, celle du buronnier pressant la tome, jambes nues, en y enfonçant les genoux et les poings. Il y avait bien un peu de sueur humaine, et de crasse, dans le fromage cantal de jadis !
L’hygiénisme y mit fin en imposant la presse mécanique, mais une certaine désinvolture perdura, comme on le voit sur toutes ces photos de buronniers, jusque dans les années soixante ou soixante-dix du XXe siècle, qui font le fromage clope au bec, cendre prête à tomber dans le caillé. Ni le fromager, ni le photographe ne semblent y avoir vu malice ou obstacle à la réputation du produit. Autre époque !
Pierre Moulier
Extrait de "Poème à la gloire du cantal au 17ème siècle"novembre 2018
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