La fête des bergers a été créée en 1887 par l’Abbé Chevier, curé de Saint Hippolyte. Le dernier jeudi d’août la montagne de la Font Sainte se couvrait de jeunes pâtres venus en pèlerinage au nouveau sanctuaire de la Vierge . Les curés des différentes paroisses avaient visité auparavant les burons afin de convaincre les jeunes pâtres de participer à la fête des bergers. Ce rendez-vous est devenu une tradition La fête existe toujours mais sans les pâtres. Pierre Bresson dans un livre paru en 1917 décrit ce pèlerinage.
"Bonjour, vacher ! » s’écria le vicaire en lui tendant une main fine qu’il saisit après avoir prestement essuyé la sienne sur le revers de son tablier de cuir. Tous deux entrèrent dans le buron enfumé. Presque aussitôt le vicaire reparut, et je le vis s’en aller d’un pas rapide vers la montagne voisine.
Qu’’est-ce qu’il voulait, l’abbé ? demandai-je. — Tu l’as que, de mardi en huit, il veut te payer à dîner ! me dit Caraud. Et tu ne boiras pas du mergue, je t’en réponds ! Tu mangeras de la chair fraîche, quelque bon ce taillou » de porc entrelardé ou de gigot, millodiou ! Il a tué douze béliers, le curé, et il vient de me le dire. »…
Tous les ans, curés et vicaires passaient ainsi dans les burons pour avertir les pâtres et prier les vachers de les laisser assister à la fête. Au lieu d’aller traire, ce jour-là, chaque pâtre jette dans un coin ses souquenilles, ses esclos fêlés, son chapeau défoncé, prend ses braies d’étoffe neuve, sa blouse vernissée, ses galoches qu’il frotte d’un peu de beurre pour assouplir le cuir, et puis s’en va, une gaule à la main, vers le suc de Rochemonteix. C’est derrière ce géant de pierre que la Vierge des bergers », en frappant du doigt le rocher, fit jaillir une source d’eau limpide d’une incomparable fraîcheur. Tout près d’elle, sur un monticule, entourée d’une enceinte de grosses roches brutes, une église qui emprunté son nom à la source, la Font-Sainte, imposante et massive, toute en blocs de basalte arrachés aux jeux d’orgues des pays voisins, élève dans l’azur sa vaste coupole et ses clochetons…Autour de la vaste bâtisse, le silence inquiétant de la solitude. Pas une maison, pas un arbre, pas un être, rien que la montagne avec ses pics aigus, ses crevasses, ses vertes étendues et ses bruyères brunes.
le jour de la Fête des bergers » le dôme, la bannière de la Font-Sainte, largement déployée, flotte à tous les vents des monts. Ses cloches sonnent à toute volée ; les vitraux étinçellent, dégagés de leur cuirasse grise. La vaste église est animée, bruyante et bourdonnante, "pleine d’une vie joyeuse. Toute la pelouse, à deux cents pas à la ronde, grouille d’une foule innombrable, venue là pour camper trois ou quatre heures avec ses chars, ses voiturées de provisions, ses paniers de victuailles, ses chevaux attachés aux moyeux des roues, ses ânes et ses mulets lâchés dans la bruyère. Elle remplit la nef, l’enceinte, les alentours et s’agite avec mille remous bigarrés. Ce sont d’abord les gens des paroisses voisines amenés là par la tradition, la coutume, puis de nombreux pèlerins qui viennent de très loin…Les curieux aussi abondent, bourgeois et hobereaux du voisinage, en quête de distractions, Parisiens en villégiature, attirés par une curiosité profane.
Voici enfin les héros de la fête, les pâtres de tous les monts voisins, accourus au nombre de cinq ou six cents. On les voit arriver par bandes des quatre coins du ciel, sauvages, la face terreuse et poilue, ensachés dans leurs braies rousses, inégales, étranglées, boursouflées, gauchement taillées par leurs mères, pâtres de toutes tailles et de toutes bêtes… la peau gercée, la barbe inculte, chevelus, sentant le petit-lait et la bouse de vache…Ils viennent des bois, des burons, des vallées, de partout, depuis les Graules, les Chichourles, le Saut du Pillarot, jusqu’à l’Elancèze et l’Homme Armé. Partis dès l’aube, quelques-uns ont fait trois ou quatre heures de marche. Ils s’engouffrent sous le porche, se pressent peu à peu dans la nef de la chapelle. Peu à peu, les derniers poussant les premiers, les bergers avancent vers le choeur, se groupent autour des confessionnaux, où ils stationnent longuement. Lassés par l’attente, ils se bousculent, se pressent, s’écrasent, se volent leur place par ruse ou par force.
Après le long défilé devant la table de communion, après la distribution des médailles à l’effigie de la sainte protectrice, l’essaim des pâtres sort de l’église par toutes les issues, se range tumultueusement derrière les bannières, tandis que les cloches s’ébranlent et s’envolent dans une chantante allégresse. Derrière, entourée de plus de quarante prêtres, la statue vénérée s’avance, élevée sur un pavois, portée par quatre vieux bergers de haute taille. Alors une immense procession commence autour de la montagne, sur l’herbe rase étoilée de violettes.
Prêtres et pâtres, à pleine voix, chantent le cantique traditionnel, dans ce rude patois de la montagne, âpre et dur comme ceux qui le parlent :Vierge de la Font-Sainte, — Ecoute le pastoureau — Qui te prie et te chante — Tout en gardant son troupeau. »
Puis on choisit sur la pelouse un espace uni où l’on arrête l’immense colonne. Les prêtres font un signe : nous nous asseyons tous dans l’herbe, tandis que des voiturées de miches, des paniers pleins de viande, des bannes remplies de poires, s’amoncellent au centre et que des hommes roulent vers nous une grosse barrique. C’est pour nous tout cela, et nous dévorons des yeux les quignons dorés, les larges tranches de viande roses, humides et juteuses, les poires fondantes qui dorment dans la fougère. Devant le tonneau que l’on hisse péniblement sur un tas de pierres nous jubilons d’avance en nous frottant les mains. On en voit qui, déjà, ont ouvert leur couteau retenu à leur veste par un cordon de cuir.
Bientôt une nuée de séminaristes en vacances, de jeunes messieurs cossus, neveux de curés, fils de châtelains ou de propriétaires, s’emparent des vivres et commencent la distribution. Par un renversement des rôles qui nous réjouit, nous avons aujourd’hui pour serviteurs les fils de nos maîtres. Un premier groupe passe devant nous et lance dans nos rangs des quartiers de pain blanc qui tombent dru comme des boules de neige. Arrivent ensuite une dizaine de jeunes gens munis chacun d’une corbeille dans laquelle ils attrapent à pleins poings des tranches de viande qu’ils nous jettent sans relâche, suivies de lardons roussis, d’os à ronger que nous happons au vol et que nous dévorons goulûment. Quelques rusés compères les fourrent dans leurs poches et saisissent au passage de nouvelles parts, de nouveaux quignons qu’ils dissimulent encore. On se dispute, on se vole, mais sans perdre un coup de dent ; on s’injurie la bouche pleine, on se menace, surtout lorsque les poires commencent à rouler. Quelquefois on partage en frères, si l’on est du même buron. Les vicaires, les séminaristes, un broc d’une main, un verre de l’autre, nous versent à boire. Le verre se remplit, est vidé d’un trait, passe au voisin et se vide encore, mettant des moustaches rouges aux lèvres imberbes.
Le vin a délié les langues. Un brouhaha, de minute en minute plus assourdissant, s’élève sur tout le demi- cercle. Le grand troupeau s’agite.
La fête a une fin, maintenant la foule se disperse. Il faut refaire la longue route du matin et rentrer au buron. Mais qu’importe ! Cette journée de liberté nous a ravis, on nous a servi un festin de roi ; nous avons retrouvé nos camarades de village, loués parfois à dix lieues de nous, et c’a été tout un monde de souvenirs. Chantant à pleine gorge, nous reprenons, par bandes, le chemin de nos mazuts. Longtemps encore, le soleil couché, on nous entend, dans la montagne assombrie, nous appelant, nous répondant en dévalant les côtes…"
Extrait de « Un pâtre du Cantal » Pierre Bresson, 1917