CEZALLIER
La montade pour l’Estive est depuis très longtemps une tradition et une pratique quasi incontournable pour conduire les bêtes sur les hauts-paturages du Cézallier. Témoignage du départ de l’estivade à Allanche en 1912.
« Au départ pour l’estivade, laitiers, pâtres et valets disent, à la maison de la ferme, un adieu fait de regret et de joie. Ce n’est que pour une absence de quatre gros mois…
La route est parfois longue jusqu’aux pâturages plantureux. Combien de vacheries qui, au départ des villages d’Allanches ou des communes voisines pour gagner les Montagnes, communes de Pradier, du Luguet et du Cézallier, viennent des environs d’Aurillac, de Vic, d’Arpajon, voire même de Laroquebrou. C’est surtout depuis que la ligne de Neussargues à Bort a été ouverte qu’arrivent les vacheries d’au-delà du Puy-Mary.
C’est vers la fin mai que les vacheries débarquent par des trains spéciaux, jetés sur la vaste esplanade de notre gare d’Allanche. Pour les animaux, la route est trop longue pour venir à pattes. De l’intérieur des sombres wagons partent des rugissements, puis, quand le troupeau se sent à destination, ce sont les beuglements répétés des vaches-mères et des jeunes veaux qui s’appellent mutuellement.
Les wagons s’ouvrent, le tableau devient indescriptible. C’est un chassé croisé d’animaux d’âges variés se cherchant, se bousculant après la longue immobilité du voyage.
De nombreux propriétaires ou fermiers sont là au débarcadère, chaussés de hautes bottes et dans un costume un peu plus soigné que la tenue modeste du fromager et des pâtres. Ils ont l’œil à tout, tandis que leurs hommes s’occupent de tenir et de diriger le troupeau, si remuant qui vient de retrouver la liberté du grand air.
Après les vaches, voici une autre espèce qui débarque. Ce sont les nombreuses familles de porcelets dominés par la haute taille de leur mère. Ils grognent de faim. On va les conduire à la « Montagne » consommer le petit lait et faire du bon lard.
Pendant que les troupeaux s’éloignent de la gare en gagnant le pont d’Outrelaigue, des bras vigoureux jettent hors des wagons une provision de paille. On la partagera à destination, entre le sol de l’écurie ou coucheront les veaux et les paillasses sur lesquelles reposeront les pâtres et leurs chefs, le fabricant du fromage
Pêle-mêle s’amoncèlent encore sur le quai de la gare les ustensiles qui vont servir à traiter le lait. Ce sont les guerlous de bois, dans lesquels, au parc puis au buron, fumera chaud le lait puisé à sa source. Voici un autre récipient débarqué, c’est celui ou l’on versera le petit lait écrémé abandonné sans mesure aux cochons. Voici ensuite les formes larges ou le caillé sera pressé pour faire le fromage.
Toujours sur le quai, alors que les animaux sont tous partis, gisent des piquets brûlés à une extrémité tout prêts pour réparer la clôture de la montagne, ceinturée de fil de fer hérissé de pointes. Nos pères ignoraient ce progrès.
Sur le quai s’entasse des planches et de pieds-droits, prêts à être ajustés pour devenir les claies dont se clôturera le parc ainsi que les redas , ces paravents qui abriteront la vacherie contre les intempéries nocturnes. Le patron fera voiturer sans retard tous ces objets.
Mais retrouvons le troupeau efflanqué qui marche d’un pas décidé vers les pâturages. Le premier arrêt naturel c’est le foirail d’Allanche. Il faut voir alors l’agilité des petits et des grands pâtres, imposant leur volonté à ces troupeaux impatients, tantôt par la menace, tantôt par de retentissants coups de bâton. Je remarque ce petit pâtre qui accompagne un troupeau venant de Laroquebrou s’activant autour de son troupeau pour le regrouper près des grilles de l’école publique. Minuscule de taille, il s’agite, courait en marge du troupeau, agitant vigoureusement ses petits bras, allongeant un coup de soulier à une vache, un coup de sa main caressante à un petit veau.
Le troupeau est un moment réduit malgré lui à un repos momentané, les hommes se ravitaillent sur le pouce et cassent la croûte et avalent d’un trait le verre de vin que mademoiselle Lucie leur sert en plein foirail. Cette halte n’est jamais omise et les habitants de ce quartier de la ville pourraient compter les nombreuses vacheries qui au printemps font entendre leur concert sur le foirail.
Mais la marche du troupeau doit reprendre. Voici la route vers les Estives bordée d’herbe fraîche, nourriture exquise sur laquelle les animaux se précipitent avidement sans suspendre leur marche. Et voici que sous la poussée de plusieurs bêtes qui avancent à la fois, les fils de fer de la clôture se rompent. Mais la grande partie du troupeau marche et broute sur les bords « des héritages ». Les pâtres ne s’en émeuvent pas outre mesure…
La migration continue vers les vastes paysages qui s’annoncent. La montagne n’est plus bien loin. Hommes et bêtes le sentent et sont impatients d’arriver sur leur « Montagne », celle ou l’on passera tout l’été.
Paru dans le bulletin paroissial d’Allanche (1912)
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