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CARLADEZ
La nostalgie joyeuse de René l’ancien vacher
La nostalgie joyeuse de René l’ancien vacher

Durant 18 ans la vie de René a été rythmée par l’estive sur les montagnes proches de Pailherols, dès 14 ans après avoir arrêté l’école. A 80 ans aucun détail ne manque aux souvenirs de l’ancien buronnier. Cette période a marqué sa vie pour toujours.

De ses années de buronnier, René a gardé une habitude : la soupe au fromage. Dans sa maisonnée de Griffoul à Pailherols (1), un bol fume souvent à l’heure du déjeuner.

Dans la pièce à vivre, qui sert de cuisine, habillée de souvenirs et chauffée par une dernière flambée, René, un paysan comme ceux des romans de la terre, prépare cette soupe comme il le faisait il y a environ soixante ans. A l’époque, elle constituait le rituel casse-croûte, pour ces hommes des montagnes, le matin. Un remontant dans la journée longue en tâches physiques.
Pour autant, impossible de retenir ces gars, qui depuis leur vallée, à l’approche de l’estive fin mai, ne quittaient plus des yeux les sommets, jusqu’au jour de la transhumance. Chez René, l’appel de la montagne a commencé tôt. Petit, il rêvait d’en être lorsqu’il voyait le convoi d’hommes et de vaches s’éloigner sous le regard du village. A²14 ans, après avoir arrêté l’école pour aider à la ferme de Barriac, il suivra le mouvement.

Un bon fromage, c’est avec du lait de salers !

Le berger gagne les montagnes que la famille louait à Vixouze, au côté du valet et du vacher, responsable de la fabrication du fromage au buron. Le trio va y vivre quatre mois, dans des conditions rudimentaires et une certaine solitude. « Mais surtout de liberté », sourit René, qui signerait de nouveau un bail au buron, s’il le pouvait.
Le troupeau d’une cinquantaine de vaches et autant de veaux était sous la surveillance de l’adolescent. Par tous les temps, celui qui dore la peau, celui qui engourdit les doigts ou qui trempe jusqu’aux os « malgré le complet de pluie ».
A 17 ans, devenu valet, il participe aux deux traites journalières, à 4H30, et en fin d’après-midi. « La construction du parc à traite qui changeait tous les jours de place pour faire la fumade nouvelle, l’appel de la mère qui fait venir son veau, l’attache du petit à sa mère pour qu’il tête et amorce la montée du lait, la corne à sel, la gerle en bois, le transport du lait au buron… »A 80 ans, aucun détail ne manque au récit livré dans un français mêlé de patois. Et l’œil pétille plus fort à l’évocation des salers. « Quand mon fils m’emmène en balade, et que je vois un troupeau dans un pré, je lui dis : arrête-moi là que je les regarde. Il s’arrête et me dit : « t’en as pas marre des salers ».

Le plaisir de fabriquer

Jamais de la vie ! « Un bon fromage, c’est avec du lait de salers ! Aujourd’hui, ils appellent salers du fromage qui est fabriqué avec du lait de montbéliarde ou de prim’holstein. Allons, miladiou ! » s’anime-t-il.
De la fabrication, il n’a rien oublié non plus. Tandis qu’il détaille toutes les étapes et les ustensiles, ses mains noueuses de paysans refont les gestes dans le vide. Aussi précis qu’autrefois. Sans oublier le signe de croix « Il fallait une journée et demie pour faire une tomme qui, après quelques « tourner et retourner », était mise en cave pour l’affinage au moins deux mois ».
C’est son cousin vacher, Jean, qui lui a transmis son savoir-faire. Lorsqu’ils évoquent ces temps, aujourd’hui, les deux hommes en rient de bon cœur : Je lui dis : « té rapela quan té m’engula ». Bon apprenti, René confesse tout de même qu’il attendait que son cousin ait le dos tourné pour glisser du fromage au chien Mirette.

Pour autant, la leçon a bien été apprise. A²18 ans, devenu vacher, il remporte le deuxième prix au concours des fromages d’Aurillac. « Le marchand, monsieur Bonal, venait acheter les pièces, poursuit-il. Chaque vendredi, on descendait les fromages et le beurre fabriqué à la main, en charrette, à la Bonétie de Pailherols ». Le père de René venait l’y retrouver pour le ravitailler. « Je repartait avec mes petites courses dans un sac. Avec un bâton, je faisais un trou au milieu de la tourte de pain et je la portais sur l’épaule ».

On allait voir les filles. On mettait le costume

Monsieur Bonal nous donnait toujours une étrenne que je partageais entre nous trois. Lui et sa dame étaient bien gentils ». Berger, il dépensait ses sous dans les cloches de vaches à la foire de Lacapelle-Barrès où le trio se rendait durant l’estive.
Plus grand, les sous étaient réservés pour le bal de Pailherols, le dimanche soir. « On allait voir les filles. On mettait le costume. Si on voulait plaire un peu, on était bien obligé, pardi ! ».
Les gars des burons se visitaient aussi. « On était cinq, six, sept… Certains jouaient de l’harmonica, on chantait, on mangeait de la truffade, on parlait. On buvait plus qu’un coup… »La plupart se retrouvaient à la messe des bergers au mois d’août au Puy Gros.
Durant 18 ans, la vie de René a ainsi été rythmée par l’estive jusqu’à ce qu’il achète une ferme à Griffoul et vende le lait à une coopérative. Le travail avait beau être rude, René en garde un souvenir attaché. « Quand on fait un métier, il faut l’aimer », estime l’ancien vacher, à la nostalgie joyeuse. Le regard de l’octogénaire s’éteint tout d’un coup : « Ce qui me fait mal au cœur aujourd’hui, c’est quand je vois tous ces burons en ruines. Cà, ça fait mal… »

Témoignage recueilli en juin 2016 par Chemcha Rabhi et paru dans le quotidien La Montagne du 7 juin 2016


1) Pailherols sur le versant sud des Monts du Cantal